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22/02/2008

Jean ROSTAND

Présentation de Roland BOSDEVEIX: 

Message de Jean Rostand



Libre Pensée... Depuis les temps lointains de ma jeunesse, j'ai toujours associé ces deux mots, et j'ai toujours cru que leur indissoluble jonction était la condition nécessaire de tout progrès et de toute lumière. Au soir de ma vie, j'en reste plus convaincu que jamais, après avoir vu tant de mensonges et de crimes amenés par ceux qui, au nom d un Dogme, d'un Mythe ou d'un Pouvoir, se permettent d'attenter aux droits sacrés de l'esprit.
Il faut, hélas, convenir que la présente situation n'est guère favorable aux émancipations de la pensée et à l'indépendance des jugements. Qui donc, aujourd'hui, peut se flatter d'échapper aux sinistres conditionnements qu'irnposent les propagandes officielles ? Qui donc est à l'abri de ce viol permanent des consciences? Qui donc est sûr de résister à l'action sournoise de ces machines à fabriquer l'opinion que sont le transistor et le petit écran ?
Jamais on ne dénoncera suffisamment la puissance de suggestion, de persuasion ou de dissuasion, la puissance d'endoctrinement qui appartient aux moyens d'information gouvernementale, et Jean-François Revel a raison d'écrire que l'appropriation collective de ces moyens doit être un des objectifs majeurs de toute véritable démocratie. Tant que la Radio et la Télévision seront un fief d'Etat, tant que nous ne recevrons, par elles qu'une Vérité d'Etat — c'est-à-dire un mensonge d'Etat — tant que les ondes, dites nationales, seront aux mains d'un parti, d'une secte, d'un clan, nous serons à la merci de ce parti, de cette secte, de ce clan. Tout le climat politique et intellectuel du pays en sera déplorablement vicié. Qu'on ne nous parle pas que la pensée est libre parce qu'il n'y a pas de franche censure. La censure est superflue quand le pouvoir a le monopole de s'adresser aux foules. Nul besoin de bâillonner l'opposition quand on a des hauts-parleurs pour couvrir sa voix. Rivarol disait : « On ne tire pas les coups de fusil aux idées ». Mais de son temps, la télévision n'existait pas. Grâce à elle, sans coup férir, on met l'adversaire hors de combat en répandant la drogue tranquilisante, “conformisante” qui fait de tout citoyen un inoffensif “bien pensant”.
Si la Télévision avait fonctionné au temps de l'Affaire Dreyfus, l'opinion publique n'aurait jamais pu avoir gain de cause. L'infâme procès n'eût pas été révisé. On eût aisément persuadé la France entière que l'Etat-Major n'avait pas menti, que le capitaine Dreyfus était un traître, et Zola un enragé...
Je suis et serai toujours, indéfectiblement à vos côtés dans le difficile combat que vous menez pour l'indépendance de l'esprit et où se trouvent engagés — qu'ils le veuillent ou non — tous les hommes de science, et plus généralement, tous les hommes de réflexion et de recherche.

 

L’un des nôtres :

Jean ROSTAND

(1894-1977)

Cela fera déjà trente ans qu’il nous a quitté.

Pourtant, certains parmi nous s’en souviennent encore...

Le meilleur hommage que nous devons à l’homme de science, au rationaliste,

au pacifiste, bref à l’humaniste qu’il fut, reste de lui emprunter son message à la Libre Pensée et quelques-unes de ses pensées.

Nous sommes fiers de l’avoir eu comme président d’honneur.

Roland BOSDEVEIX

 



Pensées d’un biologiste
(Extraits)


Qu’il s’agisse de politique, de morale, ou de philosophie, je suspecte les jugements de ceux qui ignorent tout de ce qu'ils sont.

Avant de rêver, il faut savoir.

La science fait aujourd'hui son étude familière des deux infinis qu'imaginait en frémissant Biaise Pascal. Aux astronomes, l'infini de la grandeur. Aux physiciens, l'infini de la petitesse. Le biologiste, lui, se tient dans le milieu ; mais, sans quitter le vivant, il se heurte au prodige. L'homme, pour s'effrayer de soi-même, n'a pas besoin de plonger dans les deux gouffres pasca-liens, il n'a qu'à scruter sa propre substance.

Le nombre des combinaisons héréditaires auxquelles peut donner lieu l'union de deux humains n'est pas inférieur à des centaines de trillions. Il pourrait sortir, d'un seul couple, assez d'enfants divers pour peupler de leur foule hétérogène plusieurs planètes aussi vastes que la nôtre. Tout homme avait des trillions de frères possibles.

Procréer, comme disait du jeu Novalis, c'est expérimenter avec le hasard.

Toute la diversité humaine résulte de la variété quasi infinie des combinaisons de gènes. Nous sommes tous formés de la même poussière chromosomique, aucun de nous n'en possède un seul grain qu'il puisse revendiquer pour sien. C'est notre ensemble qui nous appartient et nous fait nôtre : nous sommes une mosaïque originale d'éléments banaux.

Chacun partage avec autrui le gros de son être : tous les hommes nous sont, pour l'essentiel, consubstantiels.

Tout individu, de par sa constitution héréditaire, possède une originalité de principe. Il est seul à être lui : “Personne n'est mon semblable, disait Max Stirner, ma chair n'est pas leur chair, ni ma pensée leur pensée”». Et, biologiquement, le farouche théoricien de l’Unique ne laissait pas d'avoir raison.
La terre durerait-elle les millions de siècles que lui promènent les astronomes, il n'y a guère apparence que les aveugles caprices de l'hérédité y ramènent la combinaison chromosomique qui était la nôtre, et ainsi nous suscitent une seconde fois. Le hasard, qui peut-être a fait l'homme, ne peut faire deux hommes identiques.

La singularité biologique de l'individu est si forte qu'un morceau de chair prélevé sur un homme périt sur un autre. Nos humeurs sont poison pour le prochain.

Ecrire avec son sang, disait Nietzsche. C'est-à-dire avec ses chromosomes.

“Quel secret doit avoir la nature, disait délicieusement Fontenelle, pour varier de tant de manières une chose aussi simple qu'un visage ?” Ce secret, nous le connaissons aujourd'hui, c'est la loi de distribution des chromosomes, et, par sa simplicité toute mathématique, il eût ravi, n'en doutons pas, l'auteur de la Pluralité des Mondes
.
Le germe d'où sort l'individu humain procède d'un double hasard. C'est le hasard qui a décidé quelle portion d'hérédité demeurerait dans l'ovule lorsqu'il expulse, en mûrissant, ses vingt-quatre chromosomes. C'est le hasard encore qui a décidé lequel des éléments fécondateurs pénétrerait dans l'ovule. Chacun de nous fut élu, par un double caprice, d'entre tout un peuple disparate, et il n'est assurément ni le pire ni le meilleur qui, de ses parents, pouvait réussir.

Dans l'effarante multitude qui pourrait sortir d'un seul couple humain, quelle n'est pas la dissemblance et l'inégalité ! Il s'y trouve des grands et des petits, des blonds et des bruns, des beaux et des laids, des faibles et des forts. Tout y figure : le pire et l'excellent, la tare et le génie, la monstruosité d'en haut et celle d'en bas. Du mélange de deux individus, tout peut naître. Point de conjonction dont on ne doive tout espérer et tout craindre. Le couple le plus banal est gros de toute l'humanité.

Je ne m'intéresse, socialement, qu'à la valeur de quelques-uns et à la souffrance de tous.

Dans le désir de l'égalité sociale, il entre quelque impatience d'être enfin débarrassé de la fastidieuse pitié.

Je ne voudrais pas d'un paradis où l’on n'eût pas le droit de préférer l'enfer.

On libérera l'énergie de l'atome, on voyagera dans les astres, on prolongera la vie, on guérira la tuberculose et le cancer, mais on ne trouvera pas le secret de se faire gouverner par les moins indignes.

Est-ce l'exercice du pouvoir qui corrompt les hommes, ou si le tempérament corruptible préadapte à l'exercice du pouvoir ? Même problème que pour la taupe : a-t-elle de petits yeux parce qu'elle vit en milieu souterrain, ou vit-elle sous terre parce qu'elle a de petits yeux ?

Le moins qu'on puisse dire du pouvoir, c’est que la vocation en est suspecte.

En politique, on ne flétrit le mensonge d’hier que pour flatter le mensonge d'aujourd’hui.

Vouloir être gouverné par des hommes purs, c'est vouloir l'être par des albinos ou des hexadactyles.

On n'est pas si naïf que de réclamer des hommes purs, mais des hommes dont l’impureté ne contrarie point les obligations de leur tâche.

En politique, les insensés peuvent faire de sorte que ce soient les sages qui aient tort.

Un bon partisan doit savoir prendre les nécessités de la manœuvre pour les exigences de la justice.


 

14:19 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

nous honorons la pensée Rostand à l'occasion d'ateliers culturels organisés dans le cadre de Marseille 2013, capitale européenne de la culture. nous serions heureux de pouvoir compter sur votre participation et contribution. plus d'info sur le site "les rostand"
bien à vous

Écrit par : paranque | 20/03/2013

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